The Black Phone (Scott Derrickson, 2021)
Ecrit le 29 juin 2022 par Boris MoonScore qualité : ★★★☆☆
Score personnel : ♥♥♥♥♡
Si ce n’est pas déjà le cas, Scott Derrickson sera probablement reconnu d’ici quelques années comme un des réalisateurs emblématiques du genre fantastique du début du 21ème siècle. Des sept films qu’il a réalisés, seulement deux ne sont pas explicitement des films d’horreurs mais restent dans les terres frontalières de la science-fiction. Quantité n’est malheureusement pas synonyme de qualité, et de ses œuvres je n’ai eu l’occasion de visionner que Hellraiser: Inferno et Sinister. Un était un des films d’horreurs les plus génériques, laids et répétitifs que j’ai pu voir récemment et l’autre n’avait pas grand chose à voir avec le premier Hellraiser.
C’est donc avec une légère appréhension que je me suis procuré une place pour la dernière séance de The Black Phone avant qu’il soit éjecté des cinémas pour faire de la place au très attendu Arthur: Malédiction : le plat de résistance de 2022. Les lumières s’éteignent après 30 minutes de publicités alors que la salle est remplie d’adolescents qui toussent. Mon mal de tête naissant commence à me faire redouter les 105 prochaines minutes, surtout après le cauchemar auditif qu’était Sinister.
Vue d’ensemble :
Le film commence par une série rapide de plans qui n’apportent rien à la scène qui va suivre. Le plan large qui aurait dû ouvrir le film nous introduit au moment décisif d’un match de baseball auquel participe notre protagoniste, Finney. La palette de couleurs, plus que tout, indique que l’histoire se passe il y a une cinquantaine d’années. Le match se termine à peine et toutes les cases du protagoniste d’horreur standard des années 1980 sont cochées. Le jeune geek timide était même déjà en train d’essayer d’impressionner une camarade de classe avec sa performance, mais le film décide finalement de suivre un des autres joueurs de baseball. Cela crée un instant de confusion où on n’est pas certain d’avoir correctement identifié le personnage principal. Les intentions du film redeviennent claires quand le kidnapping du joueur en question est insinué pendant un élégant fondu au noir, qui nous amène au générique.
La tendance en horreur ces deux dernières années est qu’un générique prometteur est généralement suivi d’une agréable surprise. Malignant et Crimes of the Future ont déjà montré qu’il payait d’aguicher le spectateur avec une bonne musique d’introduction. The Black Phone prend une approche un peu moins mélodique ou électrisante mais l’ambiance sinistre est parfaitement établie après quelques secondes. La bonne surprise est que le film n’utilise pas juste la fin des années 1970 comme un élément marketing, mais dispose également de l’énergie et menace du cinéma de l’époque.
Cette énergie se retrouve particulièrement dans les personnages. Comme Crimes of the Future avant lui, The Black Phone divertit en grande partie grâce au surjeu des acteurs. Si dans le premier, David Cronenberg transforme tous ses personnages en Jeff Goldblum, ici Scott Derrickson évoque plutôt les dérapages de Brian De Palma ou du cinéma italien de l’époque. L’autre comparaison directe est Wes Craven, qui est supportée par l’abondance de jeunes personnages et la violence qui leur est infligée.
La dangerosité de cet environnement rappelle le premier acte de Christine, mais c’est bien l’approche enfantine de Craven qui est ressentie et pas la sobriété de John Carpenter. Les personnages se battent et le réalisateur n’a pas peur de montrer du sang, mais les blessures sont souvent sans conséquence. Une approche plus subtile est généralement prise lorsque les enjeux sont réels et le film n’utilise alors pas de violence excessive au risque qu’elle soit « divertissante ».
Il s’agit peut-être d’un résultat de ce double-standard, mais certains des échanges de coups entre les adolescents sont maladroitement exécutés. Il est curieux qu’on puisse voir qu’un acteur retient ses coups alors que sa cible est hors-champ. Bien que parfaitement compétent, le film contient néanmoins des aspects techniques qui semblent bâclés. A une occasion un plan contient plusieurs fondus à lui-même suggérant un passage du temps, mais seulement quelques secondes semblent s’écouler entre chaque transition. L’intention est peu claire et montre peut-être simplement que le monteur trouvait le plan trop long. Le montage qui résulte de cette impatience est parfois trop rapide et obscurcit les choix intéressants faits par le réalisateur.
Sans trop révéler de l’intrigue, deux plans particulièrement mémorables impliquent la petite sœur de Finney : un où elle court vers la caméra avec un effet « vertigo » assez subtile, et un second où elle s’adresse à Jésus en regardant directement l’audience. Toutes les obsessions qu’avait Scott Derrickson pendant Sinister refont leur apparence dans ce film : le grain de pellicule found-footage, les fantômes que seul le spectateur peut voir, des parents qui picolent et des complotistes. La principale différence c’est qu’ici elles ont un but ou sont traitées avec humour le cas échéant.
Ce recours à l’humour pose cependant quelques problèmes à l’approche du troisième acte. Les dialogues contiennent beaucoup de langage grossier, qui est relativement amusant lorsqu’il est prononcé par une petite fille, mais le gag s’essouffle et finit par tomber à plat. Le complotiste est également un échec partiel car il semble sortir d’un autre type de film plus moderne et contredit le ton. L’autre problème du deuxième acte est le jeu de Ethan Hawke qui est juste bon sans être captivant.
Heureusement le rythme est ponctuellement réanimé par l’utilisation appropriée de chansons populaires d’époque, et les choix sont relativement originaux pour ce type de film. Il est toujours facile de repérer à quel moment de l’histoire on se situe, et cela en dit plus sur la clarté et cohérence de la structure que sur les quelques aspects peu originaux du scénario. Le film paraît bien plus court que sa durée et l’histoire reste complètement satisfaisante.
Conclusion :
D’aucun remarqueront que certaines séquences du film paraissent très « COVID-friendly », avec un nombre d’acteurs très limité et des décors spacieux. Un personnel dédié à la crise est même listé au générique. Heureusement cela n’affecte aucunement la qualité de The Black Phone et ne rajoute pas non plus un degré indésirable d’artificialité. Le film n’est pas aussi agressif que certaines de ses inspirations, et ce n’était pas nécessaire à l’exécution de l’histoire écrite par Joe Hill.
Le fait que la majorité des scènes sont interprétées par de très jeunes acteurs est admirable, et leurs performances surpassent certainement les standards établis par un classique comme A Nightmare on Elm Street. Le maillon faible est l’apparence un peu générique du film, mais Scott Derrickson sait tout de même à quoi devrait ressembler un film d’horreur. Il reste à voir s’il arrive à maintenir le niveau de qualité qu’il a atteint ici.