Schock/Les Démons de la nuit (Mario Bava & Lamberto Bava, 1977)

Score qualité : ★★★☆☆

Score personnel : ♥♥♥♥♡

Dans la grande tradition du cinéma d’exploitation italien à partir des années 1980, Schock s’est d’abord exporté aux États-Unis comme la suite non-officielle d’un film pré-existant sans pour autant y être connecté narrativement. Le film en question était Chi sei? (Beyond the Door), une autre production italienne, et le seul lien ténu entre les deux projets est l’acteur prépubère David Colin Jr. duquel ils constituent l’entière filmographie. En revanche, la première différence entre les deux films est de taille : Mario Bava est le réalisateur de Schock.

Synopsis et vue d’ensemble :

Après que son Cani arrabbiati, complété en 1974, ne soit finalement pas sorti en salle, Mario Bava a été encouragé par son fils Lamberto de néanmoins poursuivre sa carrière de réalisateur. De ce commun effort est né Schock, adapté d’un script abandonné en 1970 et le dernier film majoritairement réalisé par le père Bava avant son décès en 1980. Ces origines modestes et son poster sympathique mais recopié de la couverture de « We Have Always Lived in the Castle » n’inspirent pas un grand enthousiasme pour le projet, mais les apparences sont trompeuses.

Contrairement à Chi sei?, qui surfait sur le succès de The Exorcist, les origines de sa « suite » sont plus difficiles à retracer. Le classique de 1973 est bien sûr responsable de l’existence de Schock, tout comme de la plupart des films d’horreur de la décennie. On y retrouve également le trope de l’enfant possédé, aussi présent dans ses contemporains comme Cathy's Curse. Cependant, Schock se démarque en ne faisant pas de la personne possédée le centre d’attention.

Suivant l’exemple de The Omen, l’histoire tourne autour d’un proche de l’individu affecté par le surnaturel. De plus, Lamberto Bava décide de prendre une approche plus moderne à l’écriture, citant Stephen King comme influence, dont le seul ouvrage alors adapté au cinéma est « Carrie ». Le scénario se déleste de tout le bagage religieux ou scientifique associé aux thèmes du film pour proposer une approche très introspective et contemporaine. La seule préoccupation du film est la santé mentale de la protagoniste, Dora, interprétée par Daria Nicolodi (Profondo Rosso, Paganini Horror) dont le fils, Marco, change subitement de comportement suivant leur déménagement dans la maison où elle vivait avec son ex-mari. Cette maison est associée à des sentiments négatifs que son nouveau mari absentéiste essaye tant bien que mal de lui faire oublier.

Les habitués du stoïcisme, l’onirisme ou de la débauche formant habituellement le ton des Giallos et thrillers surnaturels produits par Lucio Fulci et ses condisciples seront surpris par l’ambiance presque chaleureuse avec laquelle nous accueillent les Bava. La musique est composée par Libra, un groupe de rock progressif italien avec deux membres de Goblin, et exprime des émotions souvent absentes du répertoire de ces derniers. Notamment, de la guitare acoustique donne un ton pastoral aux scènes de vie en famille pendant les vacances scolaires de Marco. Les tendances jazz et hard rock de ce type de bande-originale contrastent bien avec ces passages plus calmes sans trancher trop radicalement avec le ton effrayant, par rapport à d’autres films de l’époque.

L’empathie du film pour ses personnages démontre une certaine influence américaine dans l’approche à l’horreur. La protagoniste ne fait pas nécessairement face à une sororité de sorcières ou à des forces cosmiques qui doivent effrayer le spectateur, mais visiblement à des démons personnels qu’il faut surmonter. Quelques années plus tard, des films comme Poltergeist, The Amityville Horror, et The Entity démontreront la popularité de cette formule, bien que traitant tous explicitement avec des forces surnaturelles. Ils le feront néanmoins par le biais d’un personnage central fort ou d’une famille, et non pas d’un « protagoniste silencieux » dans lequel doit se glisser le spectateur.

L’utilisation de vrais personnages dans un film d’horreur n’est bien sûr pas une invention de 1977. Cependant, pendant cette décennie l’approche dramatique et personnelle d’un Rosemary's Baby pouvait être sacrifiée pour tenter de devenir le nouveau « film le plus effrayant de tous les temps », maintenant que Hollywood n’était plus soumis au Code Hays. Dans ce contexte historique, Schock a le meilleur des deux mondes : une horreur sans gène dans un cadre abordable, voire universel. Les mouvements de caméra fluides et le montage très créatif rendent le film visuellement accessible aujourd’hui, et peuvent parfois véritablement prendre par surprise puisque le style sait se montrer subtile la majorité du temps. La seule chose qui sépare Schock de son homologue moderne, The Babadook, c’est son absence d’humour.

Bon gré mal gré, ce n’est pas pour autant que l’expérience sera sans fous-rires. Les effets spéciaux abusent de notre bonne volonté, au point qu’il serait difficile de distinguer un jouet dans la chambre de Marco d’une menace mortelle pour Dora. Aussi créatives qu’elles soient, certaines des manifestations physiques de la démence de Dora rappellent ce qui sera présenté avec humour dans Evil Dead II dix ans plus tard. Les virages du scénario ne sont pas non plus pris avec délicatesse. Ce style très théâtral est aussi charmant que la production assez bas budget mais nécessiteront un ajustement de la part du spectateur.

Heureusement, une grande partie du travail est faite par le jeu d’acteur, puisque cette théâtralité aide à vendre les moments les plus laborieux d’un point de vue technique. Dans la version italienne, tous les acteurs donnent des performances adéquates, mais Daria Nicolodi en particulier donne toute son énergie à son rôle. Son angoisse et ses sautes d’humeur ne sont pas jouées avec finesse, mais elles complémentent parfaitement le ton et rendent le film plus captivant. Il est rafraîchissant de voir l’actrice dans un rôle aussi expressif et contrasté, surtout lorsqu’il est comparé à ses nombreuses apparitions dans les productions de Dario Argento. Contrairement à ce dernier, Schock montre aussi à quel point Mario Bava a su se montrer flexible face aux changements drastiques du genre auquel il a tant contribué pendant deux décennies. Même avec la participation non créditée de son fils à la réalisation, il reste le contributeur principal au ton et aux visuels du film.

Spoilers :

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Une des séquences les plus marquantes visuellement est un long plan sur le visage de Daria Nicolodi alors qu’elle est allongée dans son lit et fait face à la caméra, un cadrage similaire à un plan présent dans The Babadook. La gravité semble changer continuellement et l’on peut voir ses cheveux se déplacer de manière non naturelle, alors que le complexe d’œdipe du film est davantage exploré. Pour produire cet effet, la caméra est probablement attachée au lit alors que ce dernier est en rotation, l’actrice faisant donc face au plafond et au sol en alternance. La technique était déjà utilisée sur des décors entiers en 1951 dans Royal Wedding, puis dans 2001: A Space Odyssey, mais cela marque probablement une de ses premières utilisations dans un film d’horreur, avant Poltergeist, A Nightmare on Elm Street ou The Fly. Les effets spéciaux fonctionnent beaucoup mieux quand ils reposent sur la maîtrise de la caméra par Mario Bava que sur le maquillage ou les prothèses.

Il est parfois amusant de voir comment le scénario réincorpore des idées passées sans trop les modifier. Plusieurs moments centraux au film semblent avoir été tirées de La frusta e il corpo en particulier. Le recyclage d’éléments scénaristiques sur 15 ans n’est pas un grand problème et donne une certaine dimension nostalgique à Schock. L’aspect de l’histoire le plus réchauffé est le mur de briques dans la cave. Il est véritablement impossible de compter le nombre de films fantastiques italiens utilisant ce cliché, qu’ils s’inspirent ou non d’Edgar Allan Poe.

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Conclusion :

Il est satisfaisant de voir que la dernière contribution filmique majeure de Mario Bava se soit avérée plus que louable. Schock a les idiosyncrasies de son genre, mais sait également saisir les bonnes opportunités de se démarquer. Maintenant que le film est disponible en Blu-ray, le sang rose et les cordes à linges seront aussi évidentes que le goût du détail qu’avait Mario Bava pour la cinématographie, et devraient tout autant être chéris.

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