The Menu/Le menu (Mark Mylod, 2022)

Score qualité : ★★★★☆

Score personnel : ♥♥♥♡♡

The Menu est une création de Hyperobject Industries qui nous sert une deuxième portion d’horreur, suivant Fresh de seulement 6 mois, une autre comédie noire à base de nourriture. C’est également leur premier film à sortir au cinéma après plusieurs succès en VOD, une décision sûrement motivée par la progressive suppression des restrictions dues à la COVID et à l’encombrement des plateformes de visionnage en ligne. En dehors de raisons marketing, ce modèle de distribution peut paraître incongru étant donné les choix esthétiques du film très peu cinématiques.

Synopsis et vue d’ensemble :

Le réalisateur Mark Mylod met en scène un script écrit par Seth Reiss et Will Tracy, deux écrivains dont les curricula sont majoritairement constitués d’épisodes de Late Night Shows américains, pour Seth Meyers et John Oliver respectivement, et d’articles vidéos pour The Onion. Mylod a une longue carrière de réalisateur pour des séries télévisées très populaires mais ne s’est que rarement aventuré dans le domaine des long-métrages. Cependant cette combinaison de talents du « petit écran » fait sens, puisque le film prend un ton apparemment critique de divers aspects du journalisme, et plus généralement de la représentation romantisée et intellectualisée, des arts culinaires.

Dans The Menu, Margot, interprétée par Anya Taylor-Joy, est invitée par Tyler, joué par Nicholas Hoult, à aller dîner avec un petit groupe de convives dans un restaurant au sommet de la gastronomie, mais curieusement isolé sur une île privée et sous la supervision de Voldemort : Ralph Fiennes. Après une visite guidée, la dégustation peut débuter mais alors que Tyler est aux anges, Margot reste sceptique. De manière conventionnelle, le reste des convives sont brièvement présentés au spectateur à l’aide de leurs diverses conversations à table, mais la présentation du film prend un léger détour artistique quand les plats commencent à sortir de cuisine.

Évoquant la forme d’un reportage ou documentaire, le film emploie une structure très clairement divisée en « chapitres », et utilise de multiples incrustations de légendes et titres pour décrire la nourriture à l’écran. La direction de la photographie évoque également ce langage visuel, avec parfois un éclairage flatteur et une petite profondeur de champ pour concentrer l’attention du spectateur et mettre en valeur le plat. C’est une des raisons pour laquelle le passage de la télévision au cinéma peut renforcer la satire, puisque l’imitation des normes de cet autre medium est d’autant plus apparente. L’approche est similaire à celle de Paul Verhoeven pour Starship Troopers, dont la présentation niaise et plate du premier acte utilise les codes d’une sitcom pour subtilement parodier la fausse utopie d’un film de propagande.

Malheureusement la photographie est le talon d’Achille de The Menu, manquant de précision d’un point de vue technique et finissant par devenir générique. Peter Deming est le cinématographe et la combinaison de ses mouvements de caméra et de la profondeur de champ réduite conduit à de nombreux plans où la mise au point rate de peu le visage des acteurs. Son énergie et ses talents démontrés par le reste de sa carrière, débutant avec Evil Dead 2, ont rarement été exploités sur ses derniers projets, dont The New Mutants. À une exception près, l’éclairage reste très homogène et une fois la nuit tombée, les différents lieux commencent à tous se ressembler, en intérieur ou extérieur.

La présentation quelconque du film atténue l’impact des moments clés de l’histoire. Cela résulte en une violence très timide et tout public, loin des excès de Verhoeven. Les moments les plus choquants ou surprenants du film ne le resteront probablement pas après le visionnage, puisque le choc ne repose que sur les surprises du scénario, pourtant bien structuré, et pas sur leur exécution. Les excentricités de ce scénario sont alors plus difficile à apprécier puisqu’on n’est parfois pas sûr des intentions des auteurs. Sans trop révéler de détails : bien que les origines du film démontrent qu’il n’est pas à prendre très sérieusement, les motivations nébuleuses de certains des personnages ne sont pas présentées clairement comme absurdes ou légitimes, et peuvent laisser le spectateur momentanément perplexe.

Spoilers :

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Le titulaire menu du film, est une série de plats servis entrecoupés de punitions infligées aux convives du restaurant par le chef Slowik, le personnage de Ralph Fiennes, se concluant par le massacre de tout le monde sur l’île. En principe, il prend sa revanche sur eux pour avoir ruiné sa passion de préparer et servir de la nourriture à ses clients. Chacun des personnages représenterait une brique dans le mur qui le sépare de son bonheur. Cependant The Menu est avant tout une comédie absurdiste, et tenter d’analyser la psychologie de cet antagoniste avec rigueur s’avère être un exercice vain.

Malgré la supposée minutie avec laquelle le personnel et le chef ont élaboré le menu, les meurtres sont parfois : une revanche personnelle, la manifestation du mécontentement de toute l’industrie des services, une forme d’expression artistique, ou la nécessité d’avoir une blague dans le script. Ces motivations peuvent donc être d’ordre sentimental, philosophique, politique ou complètement arbitraires. Pour cette raison il peut être difficile de rentrer dans la logique du film si on a un a priori sur ce type de scénario.

L’archétype du film de revanche dans cette veine est Theatre of Blood, où un acteur prend revanche sur ses critiques par diverses méthodes créatives. Ce dernier est également une comédie noire, et malgré le manque de véritable protagoniste, les motivations des personnages sont néanmoins simples et explicités. Il reste alors au spectateur de décider s’il souhaite s’aligner avec le meurtrier et prendre plaisir dans sa revanche, ou sympathiser avec les victimes et d’avantage profiter de l’horreur.

Parfois cette décision est prise pour le spectateur : il est rare qu’un slasher incite le spectateur à se ranger du côté du tueur même après avoir révélé ses motivations. À l’opposé les protagonistes violents de Robocop, The Crow ou Darkman sont présentés comme des personnages tragiques dont les actions drastiques sont justifiées narrativement ou implicitement au spectateur par leur présentation héroïque. Dans tous les exemples cités précédemment, il faut cependant noter que contrairement à The Menu, les motivations des victimes sont toujours claires.

Margot est invitée au restaurant par Tyler, pour remplacer sa petite amie avec laquelle il a rompu. En effet le restaurant n’accepte pas les tablées en solitaire, donc Tyler a du solliciter les services de prostitution de Margot pour l’y accompagner. Pendant la majorité du film, Tyler ne semble pas réagir aux horribles événements qui se produisent autour de lui et ne semble préoccupé que par son adoration du chef. Ce comportement surréaliste est parfois amusant mais tranche sévèrement avec le reste du ton établi par le film, puisque tous les autres personnages sont relativement normaux. Il n’y a pas non plus d’escalade de la situation après la révélation du « menu » qu’a concocté le chef, donc pas d’escalade du décalage entre le calme de Tyler et la tension du film.

Il est finalement révélé que Tyler savait qu’il allait mourir avant même de venir et a donc volontairement condamné Margot au même sort. Cette révélation est cohérente avec l’attitude que Tyler a eu pendant tout le film, mais ses raisons ne sont jamais vraiment explicitées et les motivations du chef pour son meurtre sont peu claires et pas directement liées à son comportement. Tyler finit par se suicider, échappant ainsi à la mort théâtrale prévue par Slowik : la seule scène où le ridicule de l’imagerie est cohérent avec celui de l’histoire.

La solution de Margot pour ne pas subir pas le même sort que le reste des convives est correctement établie et amusante, mais sa simplicité nous fait davantage questionner pourquoi nous avons passé tant de temps à écouter les divagations de Slowik. Peut-être qu’il s’agit là aussi d’un commentaire des auteurs sur l’inutile intellectualisation de la cuisine ou de l’art en général.

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Conclusion :

Si vous n’êtes pas enclin à vous investir trop profondément dans des personnages avec une logique questionnable, comme ceux généralement présents dans les films d’horreurs, vous devriez passer un bon moment devant The Menu. Il est notable que la majorité de l’humour est situationnel, et est produit non pas par une abondance de blagues dans les dialogues mais par des scènes absurdes, du montage et cadrage parfois précis et le contraste entre le jeu d’acteur sérieux et professionnel et le sujet décalé. Il est dommage que l’esthétique du film soit banale et ne vaille pas la peine de se lever de son canapé, mais son accessibilité devrait être célébrée dans un genre trop souvent insulaire.

Tags : 2020s americain comedie thriller