Smile (Parker Finn, 2022)

Score qualité : ★★★☆☆

Score personnel : ♥♥♥♡♡

Après seulement deux court-métrages horrifiques en 2018 et 2020, l’auteur-réalisateur Parker Finn nous présente avec Smile son premier long-métrage, produit pour la division « Paramount Players » du grand studio américain Paramount. La division est née de la frustration du studio de voir leurs talents comme Jordan Peele quitter leurs rangs pour aller rejoindre Universal et produire par exemple : Get Out. Le studio a visiblement vu du potentiel dans le court-métrage de 2020, Laura Hasn't Slept, et a proposé d’explorer ses idées dans un plus grand format. Parker Finn s’est donc résolument emparé du canevas et a rendu un film de presque deux heures où il roule des mécaniques techniquement.

Synopsis et vue d’ensemble :

En regardant la bande-annonce, il facile de voir ce qui a attiré Paramount au projet. L’imagerie des personnages au sourire menaçant est si facile à vendre, qu’elle a déjà été utilisée par Blumhouse et Universal dans Truth or Dare. La réception désastreuse de ce film sera probablement évitée chez Smile en basant l’écriture et la production sur les approches plus terre-à-terres de Ringu/The Ring et It Follows. Les sourires ne sont pas d’affreux effets visuels mais simplement la conséquence de poliment demander aux acteurs de sourire pour la caméra. Contrairement à l’impression donnée par la bande-annonce, ils sont d’ailleurs utilisés avec parcimonie en dehors des nombreux gags visuels insérés dans les décors.

Le résultat de l’effort marketing est que la salle de cinéma était inhabituellement remplie et animée. Bien que certains membres du public n’aient pas tenu la distance et soient partis avant la fin, une grande proportion de l’audience semble avoir été réceptive aux charmes de Smile. Après un siècle d’évolution du genre, il est difficile d’anticiper ce qui sera effrayant ou risible pour un spectateur donné, mais rien ne semble réellement ruiner le ton pendant la majorité du film. Néanmoins, en dehors de quelques amusantes subversions ou instances d’humour noir, l’ambiance se veut vraisemblablement sombre et oppressante. Malheureusement, il n’est pas garanti que l’objectif sera atteint pour ceux qui nécessitent un investissement émotionnel dans l’histoire et pas seulement une réaction primordiale à l’obscurité et aux bruits soudains.

Contrairement à Ringu, un autre exemple de mélange d’investigation et de fantastique qui ne manquait pas non plus d’imagerie mémorable, Smile ne peut pas s’apprécier pour ses personnages quand l’horreur relâche son emprise. La seule motivation de la protagoniste est que l’état de santé mentale de sa mère l’a poussée à poursuivre une carrière de psychothérapeute. En raison de la structure du scénario, on n’a jamais l’occasion de la voir dans un état où ses interactions avec les autres personnages ne sont pas extrêmement laborieuses. Une grande partie de ces rencontres se terminent par une action déplacée de sa part, et qui sont toujours prévisibles et forcées.

Cela ne serait pas autant un problème si tous les personnages n’étaient pas écrits aussi sensibles et réalistes, comparés à ceux qui peuplent les environnement de films rétro à la Malignant, ou de leurs influences surréalistes comme The Mephisto Waltz et Sisters. Dans ces films, les personnages secondaires réagissent toujours de manière amusante ou détachée au comportement inapproprié du protagoniste, n’infligeant pas au spectateur la douleur de la gêne par procuration. L’approche plus réaliste peut être utilisée quand cet inconfort est la source de l’horreur, comme dans The Babadook ou Candyman, mais nécessite un jeu d’acteur de haute volée pour ne pas tomber dans la parodie.

La performance de Sosie Bacon est adéquate, mais les interprétations de certains des rôles secondaires ne sont pas du même niveau. En particulier, Jessie T. Usher, qui joue son fiancé, énonce ses lignes comme si elles étaient affichées sur un téléprompteur et donne l’impression d’avoir une valise dans chaque main. Il n’est pas aidé par le réalisateur qui décide de tourner ses scènes majeures en longues prises avec de surcroît un cadrage approximatif qui n’arrive pas à s’adapter à la différence de taille des deux acteurs. Cette maladresse technique est surprenante puisque la direction de la photographie est la véritable héroïne du film.

Le cadrage des plans statiques devient prévisible quand leur seule fonction est de masquer le visage des personnages potentiellement « possédés », ou de cacher la source du prochain jumpscare, en revanche dès que la caméra bouge les choses redeviennent intéressantes. La caméra traverse tellement de vitres que cela ferait rougir Robert Zemeckis, mais elle est aussi capable de communiquer de l’information par la présentation successive d’objets dans la scène. L’exemple parfait est le premier plan du film où des photos sur une table de nuit font partie du récit raconté par l’exploration de la scène par la caméra. Du côté de l’éclairage, la présentation claire et vibrante de l’obscurité est impressionnante. Les plans les plus marquants impliquent l’utilisation de réflexions lumineuses sur des surfaces sombres mais brillantes : c’est une excellente représentation du ressenti réel que procure ce type d’éclairage sporadique. L’utilisation de véritables plans aériens est appréciée, étant donné qu’ici l’imagerie numérique n’est généralement pas d’aussi bonne qualité que les effets physiques. Les décors sont aussi peuplés de couleurs intéressantes ou d’objets contribuant au langage visuel, cependant l’approche manque de subtilité et n’est que du polissage.

Le principal défaut de Smile est un apparent manque d’investissement de l’auteur dans les thèmes ou les personnages qui y sont présentés. Par contraste, un film comme May offre une vue sur les différentes facettes de la personnalité de son réalisateur, qui sont personnifiées dans les personnages centraux à l’histoire. Alternativement, It Follows, The Night House ou The Invisible Man soulèvent respectivement des thèmes comme la peur des relations sexuelles, le deuil et la dépression, et les relations violentes et la manipulation. Ces thèmes se retrouvent généralement dans l’écriture du protagoniste et antagonistes, ou plus globalement dans la représentation du monde dans le film. Smile semble présenter des idées liées aux traumatismes et à la culpabilité ou responsabilité, mais ces idées ne sont qu’artificiellement connectées aux motivations et modus operandi de la menace du film.

Les sourires pourraient représenter une forme de nihilisme, ou peut-être spécifiquement une volonté de créer du chaos dans la société, suite aux traumatismes en question, similaire à Everything Everywhere All at Once. Dans ce dernier, l’absurdité et l’insignifiance d’une ou de l’ensemble des vies humaines peuvent être sources de fatalisme ou de libération. Smile se concentre sur la manière dont les événements importants mais négatifs de notre vie semblent la façonner, et que notre seul moyen d’avoir un impact est par l’imposition d’un sort similaire à d’autres. Cette horreur existentielle sera sûrement de plus en plus représentée à l’écran, de la même manière que celle du nucléaire dans les années 1950 ou du satanisme dans les années 1960. Peut-être est-elle motivée par la prise de conscience de l’immensité de la population par les moyens de communication et d’expression modernes, et par la projection d’une catastrophe causée non pas par une force extérieure ou offensive, mais par notre propre train de vie.

Les thèmes de responsabilité sont reflétés dans les différentes relations qu’a la protagoniste avec les membres de sa famille ou dans sa vie en couple. Cependant, ces idées sont trop peu développées et Parker Finn est obligé d’écrire une série de monologues pour Sosie Bacon, dont le personnage est très éloquent quand il s’agit d’expliquer ses émotions mais moins quand elle essaye donner du sens à ce qu’il se passe. L’impression générale est que le réalisateur était concentré sur la forme et non sur le fond quant à l’horreur présente dans l’histoire.

L’histoire en question est structurée de manière très conventionnelle et manque pourtant de rythme ou direction puisque les mécaniques de la menace ne sont qu’expliqués qu’à la fin du deuxième acte, et qu’aucune motivation ne lui est donnée. La tension vient très souvent de l’anticipation de jumpscares qui sont bien trop nombreux pour un film de 2022. Beaucoup de scènes se terminent de manière abrupte et sans conclusion donnant l’impression qu’il y a peu de conséquences aux attaques répétées de l’antagoniste. Malgré la très bonne et originale musique, le montage sonore peut aussi s’avérer répétitif avec beaucoup de crescendo suivis de silences. Tous ces facteurs contribuent à une expérience épuisante vu la durée du film. À cela s’ajoute la frustration de trop de fils narratifs coupés courts, bien que cet aspect contribue au seul thème naturellement exploré : l’isolation du reste du monde.

Conclusion :

Malgré la quantité disproportionnée de remarques négatives par rapport aux points positifs, Smile reste une expérience relativement satisfaisante. En vérité, les qualités du film sont simplement évidentes et ses problèmes sont donc cachés sous la surface lustrée. Parker Finn s’avère être un réalisateur parfaitement compétent voire prometteur, à moins que Charlie Sarroff, le directeur de la photographie soit le seul responsable de l’apparence du film. Les nombreux visuels créatifs et troublants ne permettent pas de justifier la présence d’autant de jumpscares, surtout quand ils sont dévoilés dans la bande-annonce. Smile aurait bénéficié d’une approche plus légère et efficace, ou d’une plus longue fermentation de ses idées. Il s’agit d’un film approprié pour la saison et qui pourra d’avantage s’apprécier sur un grand écran.

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