The Power (Corinna Faith, 2021)

Score qualité : ★★☆☆☆

Score personnel : ♥♥♥♡♡

The Power est le premier long-métrage réalisé par Corinna Faith et n’est que le deuxième film de 2021 à s’être ainsi nommé. Le titre est approprié puisque l’histoire parle d’une période dans les années 1970 où l’électricité était rationnée en Angleterre pour faire face à des grèves de mineurs. C’est un concept très régional qui trahi les origines du film mais est un terrain fertile pour raconter des histoires de fantômes.

Synopsis et vue d’ensemble :

Sans rentrer dans les détails : le scénario raconte l’arrivée de Valérie, une infirmière débutante, dans un hôpital qui doit faire face à ces nouvelles restrictions sur l’électricité. Tout le système d’éclairage est coupé pendant la nuit, et seuls les respirateurs artificiels restent allumés. Pendant son premier jour, Valérie s’attire les foudres de la matrone et se retrouve forcée à travailler avec l’équipe de nuit de manière anticipée. L’horreur prend donc place dans cet environnement glauque où les rares sources de lumière sont les lampes à pétroles vues sur le poster.

Le choix de cette source d’éclairage paraît un peu anachronique. L’invention de la lampe torche électrique a eu lieu 75 ans avant les événements du film et on oublie parfois qu’ils sont sensés se produire à la même époque que The Exorcist. Il y a bien sûr des différences entre 1974 aux États-Unis et en Angleterre, et ma perspective limitée sur le sujet est principalement fondée sur le contenu des épisodes de Doctor Who de l’époque. En effet The Power n’est pas un film de science-fiction, contrairement à ce que suggère son texte d’ouverture qui rappelle Blade Runner, et puise dans les années 1970 pour son fond et sa forme.

Le spectre du passé se fait sentir dès que le texte en question apparaît, utilisant la même police d’écriture que John Carpenter dans la majorité de ses films (ou très similaire). Le rapport d’aspect 2.39:1 est aussi une marque de fabrique du réalisateur mais est parfois utilisé pour artificiellement donner un cachet cinématique à une petite production. Ici, le film justifie assez mal la largeur épique de son image et le cadrage peut être un peu maladroit, notamment pendant les scènes de dialogues.

La plupart des échanges de Valérie avec les autres infirmières sont filmés en « champ/contre-champ », isolant Valérie du reste des personnages. Pendant une de ces discussions avec deux collègues, leurs plans semblent avoir été tournés à une date différente de ceux de Valérie. Pour commencer, le nombre de personnages à l’image dicte sans raison le choix de cadrage conduisant à un plan assez serré sur Valérie et un plan large sur la paire. Cette asymétrie est ensuite renforcée car les infirmières sont presque filmées de face alors que Valérie est légèrement de profil. Pour finir, il arrive qu’elle ne réagisse pas aux lignes de dialogue des autres personnages. Cela ne semble pas être un problème de jeu d’acteur mais plutôt de montage : des plans génériques de Valérie silencieuse seraient insérés pour améliorer le rythme ou choisir les meilleures prises des autres actrices.

Il est possible que ceci soit le résultat de restrictions imposées par la COVID pendant le tournage, mais après le premier acte, je n’étais pas convaincu qu’on verrait certain de ces personnages dans le même plan. Le film a plusieurs autres exemples de choix excentriques : le texte explicatif, l’abondance de transitions en fondu, ou l’inclusion d’un plan très laid de la devanture de l’hôpital qui ressemble trop à de l’image de synthèse. Certaines de ces décisions peuvent être imputées à un petit budget ou la volonté d’adopter un style rétro, mais elles impactent parfois la clarté de l’action. Le rapport d’aspect très large conduit à de très gros plans sur les visages qui nous font perdre nos repères spatiaux dès que le montage accélère. L’image est aussi très sombre la majorité du temps, et à cause de la grande dynamique des caméras numériques modernes, elle est désaturée et peu contrastée.

Au lieu de se donner la palette nocturne surréaliste de Suspiria, des couleurs amplifiées comme El laberinto del fauno, ou un style plus brut similaire à Mother!, le film a une apparence homogène et banale. Il n’y a pas de différence notoire entre le jour et la nuit, en dehors de la luminosité des pixels de l’image. Les premières scènes ne donnent pas un sentiment de confort dont l’extinction des lumières s’apprête à nous priver. Sans idéaliser la lumière du jour, puisque ce qu’il s’y produit est loin d’être joyeux, il faut montrer que la véritable horreur n’a pas encore commencé. Quand la nuit tombe enfin, les scènes sont principalement éclairées avec les lampes à pétrole ou bougies mais on ne ressent pas de précarité ou instabilité dans leur flamme, juste leur faible portée. Il n’y a que deux exceptions : le feu dans la chaufferie, et la lampe rouge du générateur électrique. Les visages des personnages pourraient tout aussi bien être éclairés par l’écran de leurs téléphones portables si ces derniers avaient été inventés.

Dans ce monde les infirmières auraient probablement beaucoup de temps à perdre sur internet, puisque les seuls patients montrés dans le film sont dans le coma ou viennent de naître et en sont très fatigués. En dehors d’une importante petite fille nommée Saba, la majorité des interactions de Valérie ont lieu avec le personnel de l’hôpital. Cela remet un peu en question son personnage, supposément motivé par le désir d’aider les autres, quand on ne la voit que très rarement s’occuper d’un patient. Heureusement l’écriture et le jeu des quelques personnages sont globalement bons, c’est donc un plus que le scénario soit centré sur eux. Ils sont tous légèrement isolés et dans leur propre monde, ce qui rend regrettable la présentation si littérale de toutes les scènes de randonnée dans les couloirs. Ces moments transitoires pourraient être plus abstraits, s’approchant du ton d’un film de David Lynch, mais l’approche purement horrifique n’est pas sans mérite.

C’est lorsque notre protagoniste est plongée dans l’obscurité que les éléments effrayants de The Power entrent enfin en jeu. Le film ne peut s’empêcher d’avoir recours à quelques jumpscares, qui ne ruinent pas l’ambiance mais démontrent un manque de confiance ou de respect pour les aspects les plus subtiles de la réalisation. Il y a une quantité non négligeable d’imagerie troublante, souvent désamorcée par la cinématographie, mais qui trouve une alliée dans l’héroïne du film : la bande sonore. Les meilleurs moments sont accompagnés de musique qui évoque les compositions et les collages sonores conjurés par Goblin pour Suspiria. Il n’y a rien d’aussi mélodique dans The Power, mais cela fonctionne avec son approche moins opératique.

Le film parvient à maintenir son élan et à doucement augmenter les enjeux et la tension jusqu’au troisième acte. À mesure que les mystères se dissipent, l’histoire devient de plus en plus générique jusqu’à ce que le scénario finisse par prendre des raccourcis qui reposent sur nos a priori du genre. Cela fonctionne encore un temps, car cela donne des excuses à la réalisation pour élargir ses horizons, mais l’ultime conclusion s’avère maladroite.

Spoilers :

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L’hôpital est hanté par le fantôme d’une petite fille, Gail, qui a été violée puis tuée par un membre du personnel, et qui se sert de Valérie pour accomplir sa vengeance. Il y a un retournement de situation concernant l’identité du meurtrier, mais il s’agissait malheureusement du seul élément de l’histoire que j’avais anticipé après seulement 10 minutes de visionnage. Le film contient également quelques indices vis-à-vis du mystère assez peu subtiles, comme la présence d’un exemplaire de « Carrie » légèrement anachronique, puisqu’il sortira plus tard dans l’année 1974.

Ce genre d’erreur n’est qu’un détail face au problème que s’avère être la conclusion de cette histoire. La dernière portion du film est réservée à la punition du véritable antagoniste, le meurtrier, et au sauvetage de Saba. Cependant ces tâches sont accomplies sans grand sacrifice avec l’aide du surnaturel. L’antagoniste est si déconnecté de la réalité qu’il est difficile d’accepter qu’il ait pu s’en tirer jusque là, mais le film entretien l’idée que la structure de la société facilite sa survie.

La soudaine résolution des conflits, combinée avec le fait que le jour s’est levé pour ce dernier chapitre, lui donnent un rôle étrange dans la structure du scénario. C’est un troisième acte qui fonctionne visuellement et narrativement comme un épilogue, et son impact est diminué au point que les histoires de Valérie et Saba semblent incomplètes. Le dernier plan est donné à un personnage secondaire introduit quelques minutes au préalable, et qui disparaît dans l’obscurité pour être possiblement puni par un fantôme. L’exécution de l’idée est correcte et renforce le concept de l’absence de lumière comme une force hostile, mais souligne que même l’histoire de Gail n’a pas de conclusion.

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Conclusion :

Seulement trois jours après mon visionnage, j’ai des difficultés à me souvenir de l’exacte manière avec laquelle se termine le film. Loin d’être mauvais, The Power a tout de même l’apparence et la substance d’un projet qui n’a pas été pleinement abouti. Le film est à son apogée au deuxième acte, quand ses idées sont sur la table et encore intrigantes, et que sa seule fonction pour les minutes à venir est de faire peur au spectateur. Sa mixture d’éléments modernes et rétro est attrayante, et la bande sonore à elle seule peut valoir le détour.

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