May (Lucky McKee, 2002)
Ecrit le 16 septembre 2021 par Boris MoonScore qualité : ★★★★☆
Score personnel : ♥♥♥♥♥
Le premier genre listé sur la page IMDb de May est « comédie ». Il est vrai, l’humour est une chose de très subjective, et May contient de nombreuses situations qui seraient très simples à réorganiser dans un épisode de sitcom de 25 minutes. En revanche, au cinéma tout est une question de contexte. J’ai été d’avantage secoué par certaines comédies horrifiques que par de l’horreur « nature » : quand on ne rit pas avec le film, c’est qu’il se moque de nous. Planet Terror et Re-Animator sont deux exemples qui m’ont involontairement choqué à leur premier visionnage, mais May paraît au courant de son effet sur le spectateur.
Synopsis et vue d’ensemble :
Le début des années 2000 est un moment intéressant pour le cinéma d’horreur. La seconde vague de slasher était encore pleine d’énergie et la première était sur le point de s’éteindre avec Freddy vs. Jason, mais vivante. L’horreur japonaise, les zombis, les parodies, les films de « torture » commençaient vraiment à s’établir comme si l’audience de Scream en 1997 était maintenant un peu plus âgée et en demandait toujours plus. Dans cet environnement, May n’a pas su se trouver une audience en salle mais s’est rattrapé plus tard sur DVD. N’ayant jamais entendu parlé du film et après un rapide coup d’œil au poster et à la date, j’imaginais que le film parlerait d’une fille bizarre, probablement l’héritière de Helena Bonham Carter et Tim Burton, à la Lydia dans Beetlejuice.
En moins de 10 secondes le film nous fait savoir qu’on n’est pas ici pour s’amuser, et ne relâche vraiment son emprise qu’un jour ou deux après le visionnage. Le dernier film a m’avoir affecté à long terme était Grave, cinq ans auparavant, cependant May se distingue par au moins deux points. Déjà, May ne se tire pas une balle dans le pied avec une scène finale regrettable qui plombe l’ambiance du film. Ensuite, le présentation est paradoxalement plus directe, étant moins subjective et plus conventionnelle, que celle de Grave.
Un film plus traditionnel comme Ginger Snaps, positionne l’observateur à distance de ses sujets, se focalisant sur leurs interactions pour communiquer leurs personnalités et états émotionnels. Avec son protagoniste asocial, May choisit d’enfermer l’observateur dans la même pièce que le sujet et on apprend tout d’elle par ses actions et monologues. Grave nous met dans la tête du protagoniste, au point de déformer notre vision du monde du film. May est intimiste mais on ne perd pas nos repères en tant que spectateur, et la forme ne prend jamais le dessus sur le fond. La forme suit les conventions d’un film du genre et de l’époque : une bande originale presque contemporaine, un éclairage propre, un monde « réaliste ». Ce qui importe au réalisateur, c’est le texte.
Notre protagoniste, la titulaire May, est une asociale en quête de connexion avec au moins certains membres de la société qui l’entoure. Le personnage est joué par Angela Bettis, qui incarnera justement la même année l’héroïne éponyme de Carrie dans son adaptation télévisuelle. Elle n’est certainement pas ordinaire, mais tous les autres personnages sont agrémentés d’excentricités. Ils sont « réalistes » dans la réalité de leurs journaux intimes respectifs. Les personnages vraiment secondaires ne sont pas écrit avec autant de précision ou d’attention, comme s’ils étaient des extensions des individus centraux à l’histoire. Ce sont « les amis des amis » d’une protagoniste très isolée.
Le réalisateur et auteur, Lucky McKee, semble avoir investi de sa personne dans plusieurs des rôles centraux. Certaines scènes pourraient être la représentation d’un dialogue interne, ou un moyen d’exorciser des démons. Avec cette lecture du film, la comédie apparaît presque comme un mécanisme de défense. L’auteur écrit les chutes de ses blagues comme Ray Davis des Kinks écrit les paroles de ses chansons. À partir d’un certain point, tout ce qu’il reste de l’humour c’est son amertume. Heureusement cet investissement personnel peut aussi prendre des formes plus ludiques. Il peut résulter en l’inclusion d’un cinéphile comme personnage central au film, comme Stephen King incorporait un écrivain à ses livres.
Lucky McKee a visiblement un amour pour l’horreur, n’ayant produit que des films dans ce genre. Le cinéphile du film a bien sûr des posters des « classiques » de Dario Argento sur ses murs. Le réalisateur pousse cependant les références un peu plus loin que Juno, en choisissant l’actrice principale de Night of the Demons 2 pour jouer un petit mais important rôle dans le film. On a également droit à des flashback de l’enfance de May, une spécialité des giallo et des slasher qui les ont suivis.
Spoilers :
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L’enfance de May est particulièrement importante puisqu’elle est à l’origine de tous ses problèmes. Contrairement aux giallo, ces flashback ne sont pas une révélation à la fin du film qui expliqueraient, ou pas, les actions du tueur. May, le film, met toutes ses cartes sur la table, au point de commencer par un extrait du troisième acte. Le réalisateur n’est pas intéressé par l’entretien d’un mystère, mais par la vie et les difficultés de May.
Ces difficultés sont d’un ordre purement personnel, puisque malgré toutes ses manies, May est un membre fonctionnel de la société. Contrairement à d’autres histoires tragiques dans cette veine, on se ne soucie jamais vraiment que May puisse perdre son travail ou même les quelques relations qu’elle a avec le monde extérieur. Il s’agit bien d’un film d’horreur et notre principale préoccupation c’est sa santé et celle des autres. Il n’y a pas de scène embarrassante, seulement des scènes de tension. Une tension qui est parfaitement enclenchée par la superposition du flashback, où on apprend que May est née avec un œil paresseux, et de l’extrait du troisième acte où une chose terrible vient d’arriver à cet œil.
May hérite de sa mère une obsession pour la « perfection ». Sa seule amie est une poupée enfermée dans une boîte, derrière une vitrine en verre qu’elle n’a pas le droit d’ouvrir au risque de l’abîmer. Cette obsession pour la perfection se traduit en une obsession pour Adam, le cinéphile, avec qui elle commence à développer une relation amoureuse. Adam finit par la rejeter parce qu’elle véritablement étrange, et pas juste un peu excentrique.
Après ce rejet, May va de déception en déception et se perd dans ses illusions. Elle tente de prendre les choses en main dans le troisième acte alors qu’elle a perdu tout contact avec la réalité, après une scène dans une crèche qui hante encore mes nuits. Le troisième acte en question commence par la transition tonale la plus difficile du film, mais franchement à ce moment tout ce que je veux faire c’est m’échapper.
La dernière partie du film opère comme l’acte final d’une tragédie et presque comme un épilogue, vu son fatalisme. Tout ce qui doit arriver arrive et les événements sont présentés de la manière la plus sobre possible. Cela reste relatif, puisque sorti de ce contexte, certain passages seraient ridicules. Cependant, c’est toujours intéressant de réussir à transporter le spectateur dans une réalité où le risible devient tragique, grâce au travail préalable de l’auteur. C’est un excellent moyen de découvrir de nouveaux horizons dramatiques.
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Conclusion :
Ce film est interdit aux moins de 16 ans en France, mais n’est pas particulièrement explicite dans son horreur. Les idées présentées par le film sont suffisamment dérangeantes et originales sans avoir à rentrer dans les détails visuels. Du haut de ses 93 minutes, le film peut paraître plus long qu’il ne l’est réellement, pas parce qu’il est ennuyeux, mais parce que chaque instant est savouré et plein de tension.
May est parfois l’équivalent filmique de ne pas savoir si on a laissé le gaz ouvert en partant de chez soi, il y a deux semaines. Il difficile de dire si le film pouvait être exécuté d’une meilleure façon, ou si le concept lui-même parlera à tous ses spectateurs, mais il faut reconnaître que May ne commet aucune grosse erreur du début à la fin.