The Night House/La proie d'une ombre (David Bruckner, 2020)

Score qualité : ★★★☆☆

Score personnel : ♥♥♥♡♡

Avertissement, The Night House ne contient que 3 ou 4 jumpscare, concentrés au début du film. Je préfère vous en informer pour que vous puissiez vous relaxer le restant du visionnage pour profiter de l’atmosphère. Le scénario tourne autour du personnage de Beth et de sa vie en isolation juste après le décès de son mari, Owen. Dans la première scène, Beth regagne la maison que Owen a bâtie et dans laquelle ils ont longtemps vécu. Contrairement à A Ghost Story, le film ne se donne pas le temps d’être mélancolique, et des événements inquiétants viennent immédiatement perturber le deuil de Beth.

Synopsis et vue d’ensemble :

Ce choix scénaristique est cependant bienvenu compte-tenu de l’état d’esprit de notre protagoniste : combative et proactive. Sans être particulièrement complexe, le personnage est suffisamment établi pour être confronté à des situations variées, et réagir en conséquence sans perdre en cohérence ou réalisme. Le spectateur fait face à un moment difficile de la vie de Beth, ce qui le force à poliment se trouver une place aux côtés des seconds rôles. Ce derniers ne peuvent offrir que des informations ou conseils, l’histoire étant entièrement subordonnée à la volonté de la protagoniste.

Ce ton très introspectif est une épée à double tranchant. En effet, le jeu d’acteur et l’écriture sont suffisamment fiables au cours du film pour qu’on puisse se reposer dessus sans que tout s’effondre. En contrepartie, votre intérêt pour ce qu’il se passe est fortement corrélé à votre attachement pour Beth. Si tout ce passe bien, vous partagerez tantôt son désir de découvrir les secrets de son mari et sa maison, tantôt l’inquiétude et l’empathie des autres à son égard.

Ce n’est exactement la dynamique d’un film « paranormal » standard, où on est à la fois fascinés et effrayés par l’inconnu. Contrairement à un mauvais exemple du genre, où les cauchemars du personnage ne seraient qu’une excuse pour faire peur au public sans aucune conséquence, ici ils peuvent révéler la psyché de notre protagoniste. Ce n’est pas une opportunité qui est pleinement saisie, puisque l’histoire et la psyché en question manquent de profondeur.

The Night House est un peu frustrant par son manque occasionnel de mordant ou de frissons. C’est en grande partie dû au premier acte, qui est trop proche des conventions du genre pour correctement établir l’ambiance du deuxième. Imaginez devoir marier le début de Us avec le milieu de Enemy. Le changement n’est bien sûr pas aussi extrême, mais le film aurait pu prendre son temps, et supprimer ces jumpscares intrusifs, quitte à se rattraper sur la fin.

Le troisième acte, bien que relativement court, est satisfaisant. L’intrigue jusqu’à ce point n’est pas cousue de fil blanc, et la réalisation devient progressivement plus audacieuse. Avant cette digression dans des visuels plus abstraits, le réalisateur avait déjà la bonne idée de varier les décors et interactions. Tout ceci est accompli en respectant la claustrophobie et le sentiment d’isolation et d’aliénation que le film essaie de d’imposer.

Spoilers :

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Pendant toute la durée du film, les personnages secondaires offrent leurs condoléances à Beth, l’invitent à partager un moment avec eux, ou la découragent de poursuivre ses obsessions du moment. Ceci n’est heureusement pas le signe d’un complot contre elle, mais bien une conséquence naturelle de sa situation. Ce sont néanmoins des messages que le spectateur fini aussi par ignorer, se laissant entraîner par les découvertes intrigantes, ou macabres, que fait Beth.

Il s’avère que Owen avait tué multiples sosies de Beth, afin de résister à ses pulsions de meurtres envers son épouse. Ces pulsions sont le résultat de l’influence d’un « démon » qui souhaite la mort de Beth. Owen s’est donc suicidé pour éviter de causer la mort de sa femme, et le démon a finalement décidé de tourmenter directement Beth pour arriver à ses fins. Cela soulève cependant la question évidente : pourquoi est-ce qu’il n’a pas commencé par cette méthode?

A la fin du film, il devient clair que le démon sert de métaphore pour la dépression de Beth. Rétroactivement cette interprétation est d’autant plus évidente que la dépression en question est mentionnée, ainsi que le rôle protecteur qu’avait Owen. La métaphore est un peu directe mais au moins donne une bonne fondation au film. C’est aussi l’explication pour les visuels plus abstraits du troisième acte, puisque Beth s’isole dans sa propre réalité.

La question de la réalité est néanmoins un problème avec cette approche à l’écriture du film. Le « mystère » construit autour de Owen, notamment les meurtres en série, pourrait être le fruit de l’imagination de Beth. La frontière entre le factuel est le métaphorique est cependant trop floue ou trop nette. Trop nette puisqu’on est capable d’identifier, ou de choisir, les points de l’histoire qu’on souhaite reléguer au rang de « métaphorique », ou non factuel. Trop floue parce que ces choix auraient des effets en cascade conséquents qui feraient disparaître certains personnages, alors que d’autres éléments bien plus incongrus sont observés par des tierces personnes et donc factuels.

Beth est la seule a avoir vu les corps ligotés de ses sosies, mais l’existence d’une étrange maison en construction et d’une statuette cérémoniale glauque sont confirmées par les autres personnages. A mon avis, l’interprétation la plus satisfaisante est que le démon et les meurtres sont bien des créations de l’esprit de Beth qui essaie de comprendre les actions de son mari. Dans l’ensemble, le film ne nous fait pas suffisamment douter de Beth en tant que narrateur de l’histoire pour que l’incertitude remonte à la surface. Quitte à choisir, je préfère cette approche à celle qui consiste à volontairement créer de la confusion chez le spectateur pour masquer un manque de contenu. Ici, une lecture littérale de l’histoire est suffisamment cohérente et complète pour satisfaire le spectateur.

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Conclusion :

Malgré son manque occasionnel d’ambition et ses défauts superficiels, comme le filtre « grain analogique » appliqué un peu trop généreusement à l’image numérique, The Night House reste une expérience satisfaisante. Tous les éléments du film sont exécutés avec professionnalisme, et il offre tout de même une perspective intéressante sur le genre « paranormal ».

Contrairement à l’archétypal Sinister, The Night House utilise son horreur pour partager des idées, aussi simples soient-elles. « Simple » ne veut pas dire « stupide », et « simple » est parfois suffisant. Bien que les salles de cinéma montrant ce film soient complètement vides, il sera quand même mieux apprécié dans un contexte plus intime. Un contexte où on a l’option de régler le volume à sa guise.

Tags : 2020s americain paranormal thriller