Paganini Horror (Luigi Cozzi, 1988)
Ecrit le 7 janvier 2022 par Boris MoonScore qualité : ★☆☆☆☆
Score personnel : ♥♥♡♡♡
Sorti en 1988, Paganini Horror marque le retour de Luigi Cozzi à ses origines macabres, après quelques aventures avec Hercules chez Cannon Films. La carrière du réalisateur a commencé par plusieurs collaborations avec Dario Argento : il co-écrit deux de ses premiers Giallos, Il gatto a nove code et 4 mosche di velluto grigio, et contribue à sa courte série télévisée en 1973, La porta sul buio. Leurs chemins se sont séparés après Le cinque giornate, la seule escapade de Argento loin de sa zone de confort, et un relatif échec commercial.
Synopsis et vue d’ensemble :
Luigi Cozzi a persévéré un temps dans la direction de ses premiers succès avec Argento, mais s’est rapidement mis a exprimer une affinité pour la science-fiction. Il est connu pour avoir supervisé la « fameuse » colorisation surréaliste de Godzilla sortie la même année que Star Wars. Il a d’ailleurs vu dans le blockbuster une occasion lucrative d’exprimer sa créativité, réalisant ainsi Starcrash : un Space Opera en carton qui recycle des éléments de la trilogie originale, y compris des deux volets qui n’étaient pas encore sortis en 1978. Malgré cette approche artistique assez opportuniste, les projets de Cozzi sont néanmoins notables pour leur créativité.
Ce sont les bizarres lubies du réalisateur qui inscrivent Paganini Horror dans la lignée des films d’horreurs italiens surréalistes popularisés par Lucio Fulci, plutôt que ceux de Mario Bava ou Argento. Ajoutez à cela une grosse coupe du budget avant un tournage expéditif dans le contexte complètement différent de la fin des années 1980, et vous obtenez un film dont l’audace n’a d’égal que l’incongruité. Un film dont la réalisation aurait été légèrement embarrassante déjà dix ans avant sa sortie et qui, malgré ses idées uniques, ne mérite pas ses maigres 82 minutes.
Les limitations budgétaires se manifestent dès les premières secondes, où le grain prononcé de l’image trahi le fait que le film a été tourné en 16mm et pas en 35mm. Le format de pellicule n’était certainement pas un choix esthétique, et n’était pas non plus la norme pour les films de Cozzi. En 1988, même les films indépendants les plus ridicules comme Unmasked Part 25 avaient accès au 35mm, et sortaient directement en VHS sans passer par la case cinéma. Paganini Horror n’est sorti en salle qu’en Italie et au Japon, et sa ressemblance à un clip musical tourné dans les années 1970 s’avère appropriée étant donné le scénario de base.
Dans ce film, un groupe de rock en manque d’inspiration se procure une composition inconnue de Paganini et décide de se l’approprier puis de tourner un clip promotionnel dans un manoir délabré. Une explication envisageable pour la distribution timide du film est l’inclusion de deux chansons : Stay the Night et The Winds of Time, l’arrangement de la composition en question. Stay the Night est une copie conforme de You Give Love a Bad Name, et Bon Jovi sera ravi d’apprendre que dans le contexte du film son tube est médiocre et sans mérite artistique. Les paroles sont originales et en italien, et la musique est légèrement différente : l’équivalent musical des mockbusters de l’époque. De même The Winds of Time reprend Twillight de Electric Light Orchestra, changeant simplement le pré-refrain, peut-être trop difficile à reproduire sans les talents de Jeff Lynne.
En 2016, la bande originale est sortie en CD et vinyle, exclusivement en Italie, et bien sûr aucun crédit n’est donné aux compositeurs des originaux. Le générique du film ne mentionne même pas les chansons, peut-être dans l’espoir que personne ne pose de questions sur la musique qui passe alors que les crédits défilent. La décision de reprendre Twillight, qui commençait déjà à dater, est encore une fois cohérente avec le contenu de Paganini Horror, mais pas nécessairement de la façon escomptée.
Spoilers ?
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La supposée composition de Paganini est en fait la clé ouvrant un portail vers l’enfer se situant dans le manoir où le groupe a décidé de tourner son clip. Twillight est donc le littéral crépuscule entre le monde des vivants et l’éternelle nuit dans laquelle les personnages se retrouvent piégés pour le restant du film. Paganini Horror aurait été produit pour profiter de l’imminente sortie au cinéma d’une biographie du violoniste, dont la virtuosité a parfois été qualifiée de diabolique. Ces connexions à l’occulte sont la justification pour les pouvoirs de la composition, au moins au début.
À l’insu du spectateur, le personnage central est la propriétaire du manoir qui se retrouve enfermée avec le groupe, leur imprésario et le réalisateur du clip quand la nuit tombe. Elle est incarnée par Daria Nicolodi, une autre alumni de Dario Argento qui contribue également à l’écriture du script. Elle et Cozzi ont fait leur recherche sur Paganini et y incorporent les découvertes scientifiques récentes sur la moisissure particulière qui affecte le bois utilisé dans la fabrication des violons Stradivarius. Je pense avoir retrouvé l’article de journal de Joseph Nagyvary où ils se sont procuré cette information, publié dans Chemical & Engineering News en mai 1988, soit 5 mois avant la sortie film. Le fruit de cette recherche studieuse est la transformation d’une de nos héroïnes en un zombie de The Last of Us pendant quelques minutes.
La plupart des éléments créatifs du script sont introduits juste avant leur utilisation dans une scène gore et ne sont plus mentionnés par la suite. Le film contient plus ou moins 3 scènes de ce type. Il y a le zombie mentionné précédemment, dont l’effet spécial est très simple mais assez répugnant : l’actrice est simplement recouverte de crèmes jaune et rouge. La deuxième scène implique un champ de force autour du manoir qui empêche les membres du groupe de s’enfuir. Ce concept du champ de force autour de la « maison hantée » sera repris tel quel quelques décennies plus tard dans un bien meilleur film, cependant Paganini Horror a d’autres idées en tête. Ici le champ de force finit par se rétrécir autour de l’imprésario du groupe et l’écrase jusqu’à ce qu’elle implose sous la pression. En pratique cela se résume à appuyer une vitre transparente contre le visage de l’actrice puis à couper à une fausse tête qui explose. Encore une fois un effet simple mais original. La troisième scène à mentionner est l’introduction du film : une enfant fait volontairement tomber un sèche-cheveux dans la baignoire où se baigne sa mère et l’électrocute.
Ce prologue semble complètement déconnecté de l’histoire dans le manoir, jusqu’à ce qu’on réalise dans la dernière scène que l’enfant, jouée par la fille de Luigi Cozzi, est en fait la propriétaire. On nous montre que dans sa jeunesse elle était destinée à devenir une violoniste virtuose, mais le meurtre de sa mère l’a conduit à une damnation éternelle. Le manoir est donc son enfer personnel qu’elle fait maintenant partager à d’autres. Autrement dit tout ce qu’on a appris sur Paganini n’a aucune importance puisque sa présence n’était qu’une manifestation du subconscient de Daria Nicolodi.
Cette révélation est bien pratique pour justifier tous les états d’âmes de l’histoire. Pourquoi y a-t-il un portrait de Einstein dans la pièce où se trouve le portail vers l’enfer ? Pourquoi a-t-on inscrit les équations de la relativité restreinte et des bouts de l’équation de Schrödinger sur les murs ? Pourquoi Daria Nicolodi se comporte-t-elle comme si elle était du côté des gentils même quand elle est seule ? J’imagine que tout est expliqué dans l’article de Joseph Nagyvary, qui mentionne effectivement Einstein dans son introduction. A ma connaissance, Paganini Horror est la seule adaptation cinématographique d’un papier scientifique ou d’une chanson d’Electric Light Orchestra.
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Conclusion :
Le cynique pourra trouver le choix de Twillight assez ironique, puisque le film qui se déroule principalement pendant la nuit, a été tourné intégralement en plein jour avec un filtre bleu sur l’image. Cette technique du jour-pour-nuit est libératrice pour le réalisateur qui manque de moyens ou de temps, mais en cas d’abus le spectateur finira très vite par remarquer que quelque chose cloche. Il y a quelque chose qui cloche avec Paganini Horror, car les sporadiques moments d’inspiration ne se traduisent pas par une histoire satisfaisante. Ils ne se traduisent pas non plus par une grande variété de scènes divertissantes, à défaut d’être cohérentes.
Le film se déroule tel le Let’s Play d’un Point-and-click obscur, où le joueur ne prend pas le temps d’explorer les branches les plus prometteuses du scénario. Il passe à côté de la majorité des événements importants, consacrant son temps à errer dans les couloirs et monter puis descendre les escaliers. Le film est aussi un précurseur aux expérimentations visuelles de Silent Hill : le recyclage excessif des angles de vue utilisés pour chaque salle évoque le style des premiers Survival Horror sur Playstation et PC. C’est bien sûr le résultat d’un tournage en accéléré, où un maximum de plans sont tournés sans bouger la caméra ou refaire l’éclairage, et pas le dessein d’un directeur de la photographie visionnaire.
Tout le problème de Paganini Horror c’est ce manque de vision globale : coincé dans le passé sur le plan technique, et accidentellement innovant dans ses concepts. C’est probablement donner trop de crédit au film, mais je ne peux que poliment applaudir l’audace d’un réalisateur qui filme le soleil et me dit que c’est la lune.