Silent Hill (Christophe Gans, 2006)

Score qualité : ★★☆☆☆

Score personnel : ♥♥♥♥♡

Silent Hill est un film qui tente tant bien que mal de parler de Silent Hill sans être interrompu par des producteurs paniqués. Le film, inspiré par le jeu vidéo éponyme, présente en parallèle les aventures de Rosa Da Silva à la recherche de sa fille, et celles de Christopher Da Silva à la recherche de Rosa. La fille en question, Sharon, est perdue dans le village de Silent Hill, où Rosa fait des rencontres de plus en plus étranges et dangereuses.

Synopsis et vue d’ensemble :

Comment est-ce que Rosa s’est retrouvée à Silent Hill? Ça n’a pas vraiment d’importance mais le film se sent obligé de tout nous expliquer, apportant plus de questions que réponses convaincantes. En voulant retirer le bout de fil qui dépassait, les producteurs ont tiré trop fort et ont ruiné le pull de laine. Sharon a des visions du village dans son sommeil, et met sa vie en danger pendant des épisodes de somnambulisme. Après une rapide recherche sur internet, Rosa décide donc de l’emmener là-bas, sans l’accord de Christopher. En chemin elle s’arrête à une station service et Cybil Bennett, une agent de police, la trouve suspecte et essaye de l’arrêter. Rosa tente inexplicablement de s’enfuir et a un accident de voiture qui la fait s’évanouir aux portes de Silent Hill.

C’est alors que le film commence pour de vrai. Toute cette partie sert uniquement à introduire le personnage de Christopher, et à justifier la présence de Rosa et Cybil à Silent Hill. Une fois qu’on rentre dans le vif du sujet, il est clair que tout ceci n’a aucune importance. Le cœur du film c’est Rosa qui cherche Sharon, dont l’existence aurait pu être laissée ambiguë en l’absence d’introduction. Christopher mène sa propre enquête en parallèle mais ne fait que découvrir des choses qu’on sait déjà en suivant Rosa, ou qui ne sont que des détails techniques.

Pour résumer, on a clairement affaire à deux films. Le film de Rosa qui a une ambiance très particulière et surréaliste, est autosuffisant, et est le projet du réalisateur. Ensuite il y a le film de Christopher, qui est beaucoup plus terre-à-terre, est un parasite scénaristique, et est le résultat d’une interférence extérieure. Les producteurs ont visiblement trouvé le film trop étrange et ont essayé de le rattacher à la réalité avec l’aide de personnages opérants dans notre monde. Malheureusement l’effet produit est exactement à l’opposée de leurs intentions.

Après quelques scènes passées avec Christopher, il devient rapidement clair que son histoire ne va mener à rien, donc à chaque fois qu’on recoupe au monde réel on a l’impression de perdre son temps. Pire que ça, chaque excursion là-bas brise complètement l’ambiance du monde de Silent Hill et paradoxalement nuit au réalisme de l’ensemble du film. Le monde qu’explore Rosa suit une logique qu’on retrouverait dans un film d’animation comme Tenshi No Tamago. Un conte dystopique où tout n’a pas de sens littéralement, mais fonctionne émotionnellement ou esthétiquement.

Il serait malhonnête de dire que cette partie de Silent Hill fonctionne parfaitement sur ces deux points. L’esthétique du film est grandement limitée par les effets spéciaux de l’époque. Le film utilise quelques acteurs et effets physiques, mais la majorité des visuels sont produits numériquement et la qualité de l’image de synthèse laisse beaucoup à désirer. Cependant, on atteint un point où il ne s’agit plus vraiment d’effets spéciaux mais bien d’animation, comme si Rosa était arrivée à Toontown un mauvais jour. Hormis une séquence au milieu du film, impliquant un des personnages iconiques du jeu, je n’ai jamais eu de difficulté à accepter les visuels du film.

Certaines de ces images sont d’ailleurs assez dérangeantes, et le film n’a jamais recourt à de l’action excessive ou à des jumpscare pour créer de la tension. Cela ne veut pas dire qu’il est terrifiant, le film est surtout atmosphérique. L’approche du réalisateur semble être de mélanger l’exploration d’un monde hostile et inconnu avec des éléments dramatiques qui pourraient venir d’un roman de Stephen King. Certaines scènes peuvent rappeler The Mist, l’adaptation par Frank Darabont sortie un an après Silent Hill, autant dans leur apparence que dans certains personnages.

Silent Hill n’a pas peur de peindre avec de gros pinceaux, et certains acteurs sont en surjeu pour accommoder l’extravagance du film. Les années 2000 était un terrain fertile pour les blockbusters aux mondes légèrement fantaisistes : Pirates of the Caribbean, Spiderman, Sweeney Todd: The Demon Barber of Fleet Street, Matrix, Lord of the Rings, Harry Potter… Une époque ou les avancées technologiques semblaient offrir des possibilités infinies, avant que des styles plus réalistes s’imposent quand le public a dû choisir entre Speedracer et The Dark Knight. Cela est également reflété dans la musique originale du film : très mélodique et présente, un style qui serait moins dominant à la fin de la décennie. Le film en demande peut-être beaucoup à son audience en termes de réalisme, mais tous ces choix artistiques lui donne une identité.

Le choix peut-être le plus distinctif, est l’appropriation du langage visuel du jeu adapté. Le film de Doom est connu pour sa séquence à la première personne qui imite la perspective du joueur. Silent Hill n’est pas non plus subtil, mais d’une part le jeu d’origine est plus cinématique, et d’autre part l’incorporation est moins artificielle et semble être un choix artistique. Les exemples les plus évidents sont à l’arrivée dans le village, où certains plans sont calqués sur des portions du jeu. Il s’avère néanmoins que c’est une approche efficace et visuelle pour récréer l’atmosphère du jeu, et un très bon moyen de présenter le monde. Plus subtiles sont les différentes transitions musicales qui se produisent quand le protagoniste passe d’une pièce à l’autre, ce qui fonctionne parfaitement dans le jeu comme le film.

L’exemple le plus étrange de cette approche est un plan en particulier, qui cherche à reproduire l’apparence et le comportement des modèles 3D des personnages du jeu sur le décor 2D. Ceci est accompli sans pour autant remplacer le personnage par de l’imagerie numérique, et se produit après un fondu au blanc à la fin d’un flashback. Le montage et le plan évoquent fortement l’esthétique d’un retour à l’action du joueur après une cinématique, surtout pour les jeux de l’époque. L’exécution est suffisamment réussie pour nous sortir un instant du film et l’expérience est certainement unique, mais dans quel but?

Conclusion :

De toutes les adaptations de jeux vidéos du 21ème siècle, Silent Hill est une des plus riches, bien que frustrante. Cette richesse est relative, quand la compétition inclut Tekken et Pokémon: Detective Pikachu, mais c’est un rare cas où essayer de reproduire l’esprit du jeu fonctionne. Un film comme Lara Croft: Tomb Raider, n’est qu’une pâle copie des films qui ont inspiré le jeu, alors que Silent Hill propose une expérience unique.

Malheureusement le film est compromis, et un Director’s Cut drastique serait certainement bienvenu, ainsi qu’une retouche des effets visuels. Silent Hill ne vous laissera pas un souvenir impérissable, mais vous offre un aperçu de ce qui aurait pu être un futur prometteur pour les films de ce genre. Il est possible que le film soit redécouvert et apprécié maintenant que les normes du récit ont été écrites et réécrites.

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