Antlers/Affamés (Scott Cooper, 2021)
Ecrit le 28 novembre 2021 par Boris MoonScore qualité : ★★★☆☆
Score personnel : ♥♥♥♡♡
Antlers est la dernière production de Guillermo Del Toro dont, pour des raisons marketing, le nom occulte presque celui du réalisateur sur l’affiche du film. Scott Cooper n’est en effet pas forcément connu des férus du cinéma fantastique, puisqu’il fait ici son baptême du feu horrifique. La mention de « Nick Antosca », co-scénariste et auteur de la nouvelle adaptée par le film, n’aurait pas été plus aguichante, évoquant les souvenirs flous de The Cottage et The Forest. Depuis presque 15 ans Del Toro finance ce genre de projet, et à défaut d’établir un standard de qualité, il présente généralement des idées intéressantes.
Avant de devenir le réalisateur du film d’horreur n°1 au box-office mondial, Andy Muschietti faisait ses débuts avec Mama, justement produit par Del Toro. Ce film avait la particularité de suivre les conventions de l’époque : des fantômes et jumpscares à l’excès, tout en prenant un tournant fantastique et émotionnel inattendu dans le troisième acte. Antlers est construit de manière similaire, mais le genre est en meilleure forme qu’en 2013, et le ton plus homogène du début à la fin. Sans rentrer dans les détails, on notera que les deux films racontent l’histoire d’enfants étranges, de leurs « problèmes familiaux » et d’une figure maternelle qui leur vient en aide.
Vue d’ensemble :
Antlers prend la peine de connecter son horreur aux conflits émotionnels des personnages, et ce de manière naturelle. Sans être une réflexion profonde sur les thèmes de l’abandon et la maturité, le film les utilise pour façonner son histoire et les rôles des personnages. Notre protagoniste, Julia, est une institutrice avec un sombre passé qui repère qu’un de ses élèves, Lucas, est perturbé par ce qu’il vit chez lui. Elle a emménagé depuis peu chez son frère Paul, le shérif local, qui questionne à quel point elle devrait s’investir dans la situation. Le film revient fréquemment sur le point de l’échec des institutions face aux problèmes des individus, et de leur prise de responsabilité pour y remédier.
Ce conflit est résumé dans une intrigue secondaire qui présente en quelques scènes l’escalade d’un conflit entre Lucas et un autre élève qui cherche à le provoquer. L’école n’intervient pas suffisamment pour résoudre le problème et les enfants sont laissés à leurs propres moyens et sens moraux. Malheureusement cet aspect du film n’est pas assez développé, surtout comparé à Låt den rätte komma in qui en fait un thème central. C’est aussi dans cette portion qu’on trouve les dialogues et jeux d’acteurs les moins convaincants.
Par chance il s’agit d’un cas isolé car la majorité des acteurs font un bon travail. L’acteur qui joue Lucas n’a pas le rôle le plus difficile, puisqu’il doit surtout rester stoïque et avoir l’air un peu triste, mais le résultat est convenable. Il a plus de difficultés dans le troisième acte pour exprimer ses émotions, mais qualité de la présentation du film lui vient en aide. La musique n’est pas mémorable mais elle est bien présente et travaillée, et les visuels sont appropriés mais leur qualité variable.
La photographie est étrange : il y a une alternance de sobriété et d’excès. Certaines décisions d’éclairage de la scène, prises pour des raisons esthétiques, affectent directement l’univers du film. Pourquoi un personnage avec accès à des lampes torches éclairait-il son chemin avec un feu à main ? Pourquoi en 2020 un enseignant montrerait des vidéos à ses élèves avec un projecteur à bobines de film ? Ces questions ne sont pas importantes mais démontrent que les visuels sont si homogènes et ternes, que toute variation créative est perturbante.
Les quelques scènes majoritairement éclairées par des gyrophares sautent particulièrement aux yeux. Heureusement elles apparaissent vers la fin du film, où d’avantage de libertés artistiques commencent à être prises avec l’imagerie présentée. Contrairement à un film très épuré visuellement comme The VVitch: A New-England Folktale, la sobriété des deux premiers tiers de Antlers ne construit pas une ambiance unique et désolée. Le produit fini manque d’imagerie qui restera avec le spectateur après son visionnage, à l’exception d’un plan mémorable vers la fin. Le film repose donc majoritairement sur la qualité du jeu d’acteur et de l’écriture.
Cela semble être une décision consciente de Scott Cooper car une grande attention a été portée à la clarté de l’histoire et des décisions des personnages. On questionne très rarement leurs choix, car leurs actions sont majoritairement justifiées par le dialogue ou les détails que le réalisateur choisit de mettre en avant. On est toujours au courant de leurs intentions et limitations. Sans avoir recourt à des gros plans intrusifs, on peut voir l’équipement endommagé d’un policier et sa raison pour ne pas appeler à l’aide. L’information est transmise régulièrement et clairement sans impacter la fluidité de la narration. Le film est extrêmement cohérent et sa structure n’a visiblement pas été sabotée pour des décisions marketing après les faits. Le réalisateur n’oublie qu’une seule fois de nous « préparer » avant une scène mais se justifie très rapidement; et ce genre de raccourci passerait complètement inaperçu dans un autre film. Vers la fin on est même capable de reconnaître les véhicules de personnages très secondaires.
Ce suivi des règles peut être une épée à double tranchant, puisque le film a naturellement peu de surprises. Il est notamment facile de deviner quels personnages survivront jusqu’à la fin, simplement à la manière dont ils sont présentés. Qu’il s’agisse d’un choix conscient ou pas, la mort imminente d’un personnage secondaire est toujours indiquée par les mêmes choix de montage et cadrage. On va alterner entre un dialogue important avec notre protagoniste, et des plans moyens d’une proie qui marche lentement vers sa fin. Antlers est loin d’être une boucherie où la vie humaine n’a pas d’importance, mais les victimes bénéficieraient d’un traitement plus empathique, même si elles ont été préalablement présentées au spectateur.
La relative prévisibilité résulte néanmoins en une relation assez saine avec les jumpscares. Il est aujourd’hui rare que les films en abusent, et ici ils sont utilisés dans le bon contexte. Les rares occurrences de bruits assourdissants dans Antlers sont diégétiques et lourdes de conséquences. L’horreur vient principalement des situations tragiques dans lesquelles les personnages se trouvent, et des effets spéciaux occasionnellement grotesques. Le film est « seulement » interdit aux moins de 12 ans et utilise surtout de l’image de synthèse, mais l’imagerie est parfois choquante et donne libre cours à notre l’imagination. Les concepts sont bons, les effets sonores appropriés, et le montage de ces visuels parfaitement rythmé pour affecter le spectateur.
Conclusion :
Depuis quelques années, le cinéma d’horreur est dans une période transitoire où les tendances et le caractère des films indépendants remplacent progressivement ceux des misérables grosses productions responsables de Ouija ou Paranormal Activity 4. Les audiences sont encore partagées, étant données les réactions ambivalentes à Malignant ou au Suspiria de Luca Guadagnino. Pendant la séance de Antlers, à 22h00 un week-end, une partie des spectateurs ne paraissaient pas très investis et le consensus penchait vers « bizarre » plutôt que « terrifiant ».
Il est probable que ce type de film soit plus adaptée à une audience réduite, voire à un visionnage en solitaire. Sa présentation et contenu évoquent plutôt le catalogue des plateformes de streaming que le spectacle normalement mieux apprécié sur grand écran. The Invisible Man ou Last Night in Soho proposent véritablement des expériences cinématiques, et Grave ou The VVitch: A New-England Folktale bénéficient d’un environnement où le spectateur peut se sentir hors de son élément. Antlers peut être pleinement apprécié depuis le confort de son canapé à une distance raisonnable de sa télévision, de nuit comme de jour, avec les volets entrouverts. Pas très électrisant, mais une diversion de qualité.